Behind the computer

☮ pseudo: stockholm syndrome. ☮ âge: quatorze années    ☮ pays: frankreich. ☮ comment as tu connu we could be heroes?: j'sais po trop    ☮ ton avis: il est nulosse    ☮ dernier mot: vive les pauneys!   

Tellement de choses peuvent se passer en dix-sept années de vie. Ces six mille deux cent neuf jours sont si insignifiants dans la vie d'un Homme et sur le déroulement des jours. Les jours passent, se succèdent, la plupart n'ayant aucune sorte d'intérêt, sauf si l'on est un atteint d'un cancer incurable, auquel cas chaque jour est une victoire. Mais pour Prim, qui n'est pas atteinte d'une forme rare de leucémie et qui n'a rien d'une femme d'affaires importantes, la vie n'est pas très palpitante. Sauf quelques exceptions, les jours se ressemblent et s'assemblent. Prim-Joanna Marjane Capaldi s'ennuie à Toscaloosa, sa vie de petite lycéenne ne l'intéresse pas, et elle attend patiemment le jour où sa vie redeviendra intéressante. Comme avant, quoi.

Dans le passé, Prim avait une vie rythmée. Elle est pour ainsi dire née dans le mauvais pays, au mauvais moment. Fille aînée de Sergio Capaldi, chirurgien italien établi en Iran, et Jihane Majeed, femme au foyer iranienne, Prim est née à l'aube de la révolution. Son pays tremblait déjà. Prim ne possède peu ou pas de souvenirs des quatre années précédant les évènements ; elle se souvient qu'elle vivait confortablement avec ses parents et son frère jumeau, Jules, dans un grand appartement en centre-ville. Tout allait pour le mieux, au début. Puis, la révolte s'est mise à gronder ; ses parents se sont mis à s'inquiéter. Ses oncles Arash et Sarosh faisaient partis de la rébellion. Prim et Jules se souviennent encore de toutes ces fois où ils ont surpris leur mère pleurant, folle d'inquiétude ; les conversations téléphoniques aussi, où elle les implorait d'arrêter ces conneries. Mais la volonté d'une femme ne pouvait stopper le souffle de liberté qui régnait sur la nouvelle génération iranienne. Il voulait la chute du Shah, la fin d'un régime de terreur. Leur but était de glorifier la liberté et de supprimer l'hypocrisie sociale. Les rebelles ont commencé à manifester, les soldats du Shah ont répondu. Les tirs fusaient. Des jours entiers passaient sans que Jules et Prim puissent sortir de chez eux tant les manifestations, à la base pacifiques, étaient violentes. Et ils avaient peur. Leurs nuits étaient hantés de fusils, de coups de feu, de mort. On pendait les rues aux lampadaires dans les rues, les soldats emprisonnaient les rebelles qu'ils ne tuaient pas (pour, en vérité, les exécuter d'une cruelle manière un peu plus tard). En 1978, Prim n'avait que quatre ans, mais des images terribles restent encore gravées dans sa mémoire. Sa mère se terrait chaque jour un peu plus dans leur appartement, et pleurait. Elle avait peur pour son mari, qui avait encore le courage de se rendre au travail alors qu'il était une proie facile, n'étant pas iranien ; elle avait peur pour ses frères, qui combattaient aux milieux des tirs pour une liberté qu'ils n'obtiendraient jamais ; et par dessus tout, elle avait peur de l'avenir, un avenir où le peuple serait encore plus réprimandé, un avenir sombre et dur dans lequel ses enfants grandiront. Un monde gris et sans couleur, sans bonheur. Un jour, elle apprit qu'Arash s'était fait emprisonné par un soldat et qu'il était à la prison du Shah. Prenant son courage à deux mains et affrontant le monde extérieur pour la première fois depuis longtemps, elle lui rendit LA visite, la seule que les prisonniers rebelles avaient le droit de recevoir. Le lendemain, Arash était tué et enterré sauvagement derrière la prison. Ce fut le coup de grâce pour Jihane, qui interdit par la suite son mari de travailler et partit en dépression nerveuse.
Prim et Jules, malgré leur jeune âge, étaient déboussolés. Où était oncle Arash ? Ils l'adoraient. Ils ne comprenaient pas les enjeux de cette révolte, ils ne savaient jamais dans quel camp se trouvait la balle et qui étaient les gentils de l'histoire. Ils regardaient les combats depuis leur appartement et se posaient silencieusement des questions auquel on refusait de répondre. On leur souriait, on leur disait que tout allait bien, et on leur demandait de ne plus poser de questions.
Et puis un jour, ce fut terminé. Le Shah était tombé, destitué. Ce fut un jour de liesse dans tout le pays. La famille Capaldi-Majeed était quant à elle en deuil. Arash était mort, il ne pouvait même pas voir le fruit de son travail, la liberté nouvelle née de son sang. Une ère nouvelle semblait commencée, le bout du tunnel n'était peut-être pas si loin… Une nouvelle polémique pointa le bout de son nez, en 80. Le Shah s'était réfugié aux États-Unis, où l'on soignait son cancer. Les manifestations recommencèrent. Le peuple voulait sa vengeance, il avait soif de sang. Il voulait le Shah, il voulait le voir revenir à genoux en Iran pour mieux le massacrer. Il y eut des prises d'otages, des tensions avec les États-Unis. Le nouveau chef de la "République Islamique d'Iran", Khomeini, avait instauré un nouveau régime qui n'était guère moins stricte que l'ancien. Les femmes avaient l'obligation de porter de voile, ne devaient pas se faire remarquer en public, elles devaient se soumettre à leur maris, leurs pères. Les policiers et soldats étaient partout dans les rues. Plus personne n'osait se rebeller, désormais. La première révolution avait fait trop de victimes, trop de pères, d'oncles, de frères, de maris étaient tombés. De plus, elle avait été couronnée de succès : le Shah était parti. Le 27 Juillet 80, il décédait aux États-Unis.
Tout aurait pu rentré dans l'ordre. Mais rien dans ce pays ne tournait plus rond. L'Iran et l'Irak se déclarèrent la guerre, les bombardements destructeurs commencèrent. Ce fut trop.

Les Cappaldi-Majeed partirent pour les États-Unis en Août 1986. Prim avait onze ans. Ce fut une renaissance pour elle : elle pouvait enfin rire en public, parler fort, porter les vêtements qu'elle souhaitait, ne plus se cacher sous un voile (elle avait été élevée dans la laïcité), ne plus craindre les policiers postés à chaque coin de rue ! Ne plus avoir peur des bombes volantes et des mines cachées, plus de Shah, plus de Khomeini. Juste, la liberté, la vraie. Ce fut une période très heureuse pour elle et Jules. La guerre leur avait volé leur enfance. Toute leur vie, ils avaient été les spectateurs passifs d'une tuerie. Néanmoins, la vie à Tuscaloosa fut difficile, au début. Des images horribles hantaient leurs nuits. Les bombes, les explosions, oncle Arash, les exécutions, les pendus aux lampadaires. La vie en société leur semblaient exotiques. Apprendre à ressentir les choses fut fastidieux : ils avaient l'impression que leurs émotions, leur tristesse ou colère, leurs soucis étaient moindres, et ils culpabilisaient en pensant à ces milliers d'Iraniens qui avaient perdus la vie, qui vivaient dans la tourmente de la guerre tandis qu'eux vivaient bien tranquillement aux États-Unis. En un sens, ils trahissaient les leurs en se réfugiant chez les ennemis, ceux qui avaient accueilli le Shah. Le 14 Septembre 1989, Jihane Majeed mit fin à ses jours, dommage collatéral de la guerre. Les souvenirs lui broyaient l'esprit, la culpabilité la rendait folle.

Aujourd'hui, Prim est perturbée. Elle tente toujours de vivre normalement et de s'intégrer. D'être… Normale en quelque sorte. La mort de sa mère et les évènements en Iran sont devenus des sujets tabous chez elle. Ni son père ni son frère n'en parlent jamais, chacun vivant la chose à sa façon. Son père se plonge dans le travail et passe des heures le nez dans ses livres de médecine. Devenu plus distant que jamais, Prim se tourne le plus souvent vers son oncle Sarosh, qui vit à deux pâtés de maisons de chez elle. Quant à Jules, elle ne parvient pas à briser sa carapace. Il s'isole, passe son temps seul dans sa chambre, à fumer des clopes et à boire des bières. Parfois, Prim voudrait crier, hurler. Demander à n'importe qui pourquoi les hommes se haïssent en permanence, pourquoi ils s'auto-détruisent ainsi et pourquoi ils font des victimes sur le passage. Pourquoi elle doit grandir, devenir lucide et se poser encore plus de questions, comprendre plus de choses.

Sa seule bouffée d'oxygène, c'était Tom. Après le décès de sa mère et sur le conseil de son psy, Prim s'est rendue à l'hôpital et est devenue bénévole. Son rôle était de rendre visite aux patients malades, de leur apporter un peu de réconfort. La plupart était des mamies un peu gâteuses, en phase terminale, qui lui posaient beaucoup de questions sur l'Iran sans se rendre compte que ce sujet la faisait souffrir. Et puis, il y avait Tom. Tom avait une tumeur énorme dans le cerveau qu'il était impossible d'enlever. Et pourtant, malgré son espérance de vie de six mois, ils sont tombés amoureux. Une passion folle, énorme, l'amour d'une vie. Tom était gentil et ne lui posait jamais de question sur sa vie d'avant. Il se contentait de l'écouter, et même s'il avait toujours vécu en Alabama, il la comprenait mieux qu'oncle Sarosh. Prim lui rendait visite chaque jour après les cours, à l'hôpital. Elle faisait ses devoirs avec lui, ce qui était bien pratique : il avait trois ans de plus qu'elle et savait toutes les réponses. De six mois, l'espérance de vie de Tom est passée à un an. L'effet de l'amour, dirons-nous. Prim ne pensait même plus à son cancer. Elle ne pensait qu'à lui, à ses bras, à son odeur. Le meilleur moment fut quand elle lui offrit sa première fois. Ce fut un moment magique qui ne se reproduit plus par la suite, en raison des efforts que cela demandait à Tom. Mais ce fut parfaitement réussi. Tellement réussi que Prim tomba enceinte au mois de décembre 1990, à quinze ans. Tom décéda le 27 Février 1991. Sous le choc, totalement inconsolable, Prim fit une fausse-couche. Elle ne retourna pas en cours pendant un long mois. Un mois qu'elle passa à dormir ou à pleurer. Tom était mort. Son bébé était mort.

Alors parfois, Prim voudrait juste hurler au monde pourquoi tout ceux qu'elle aime partent. Et puis, elle se regarde dans la glace et se rappelle les mots de sa mère : "Sois normale, Prim. Souris à tout le monde et ne montre rien à la guerre qui se passe en toi". Du coup, Prim efface ses larmes et sourit.