Un jour j'ai voulu voler, comme Wendy dans Peter Pan. J'ai donc sauté par la fenêtre de ma chambre, et me suis rétamée sur le sable chaud. Heureusement que la chambre se trouvait au premier étage, la chute ne m'a rien fait, une petite fracture c'est tout. C'est ce jour-là que mon âme d'enfant a pris un sacré coup. J'étais incapable de voler, pourtant j'étais une enfant heureuse, j'avais pleins de bonnes choses, une vie tranquille. Fille d'une archéologue et d'un médecin, tout un univers s'ouvrait depuis mon plus jeune âge. Je suis née en Égypte, Alexandrie il y a vingt-six ans de cela. Plus cliché on meurt. J'ai beaucoup de souvenirs de mon enfance, beaucoup trop même, mon cerveau fonctionne mal, il se souvient de choses qu'il ne devrait pas et oublie celles qu'il devrait savoir. Comme par exemple le jour où nous étions au Sognefjord, que je buvais mon chocolat chaud avec mes moufles rouges et ma grosse veste bleue. Je me souviens de ça, mais impossible de me rappeler quel fruit je suis censée aller acheter. C'est parce que j'en ai tellement que je ne vais pas en dire beaucoup, il faut seulement savoir que j'ai beaucoup voyagé, énormément, un peu partout. Nous n'étions que trois puis ma sœur est arrivée, j'avais six ans, encore jeune, mais vive d'esprit. Je l'ai aimé ma sœur, même avant qu'elle ne vienne au monde. Deux petites têtes rousses, ma préférée, mon tout. Elle était mon jouet vivant, mon bébé dans les jeux de famille. Bref, je n'étais plus la seule enfant, ne plus être le centre d'attention ne m'a jamais dérangé, à vrai dire je n'ai jamais vraiment aimé qu'on soit toujours derrière moi pour me dire quoi faire. Je lance ce regard froid quand quelque viens me dire : "hey tu sais que tu devrais.. - NON !-" Quand je ne veux pas, je ne veux pas. Ce n'est même pas la peine d'insister. Attention, ce n'est pas pour autant que j'étais une mauvais enfant, pas du tout. J'aimais mes parents, ils étaient bons avec moi, pourquoi ne l'aurais-je pas été. Nous sommes arrivés en Amérique à mes seize ans. Tuscaloosa, what a name.

Années d'école, années lycée. Vous savez ce que ça fait d'être rousse et étrangère ? Nope vous savez pas. J'ai été victime d'insultes, beaucoup même, de violences, mais jamais physiques. J'ai toujours laissé couler, comme un canard, ça coule sur mes plumes. Je préférais me concentrer sur mes études, surtout mes cours de psychologie. L'esprit humain est quelque chose de fascinant, qui m'a toujours attiré. Réfléchir, trouver, embobiner, bref, un sujet si vaste et abstrait. C'est sûrement pour sa complexité que j'ai décidé qu'un jour je deviendrais professeur, ma plus grande ambition, la grande de ma vie. Après tout, il faut avouer que je ne sortais pas, je n'avais pas vraiment d'amis après tout, être populaire, sortir et tout le reste, nah pas pour moi. Je n'étais pas associable, bien sûr que je parlais aux gens, bien sûr que je savais m'intégrer, mais à quoi bon. La plupart de ces gens, plus jamais revu, chacun fait sa route, on se perd, on se retrouve. C'est la vie, on l'apprend très vite. Ma sœur, c'est elle que je voulais protéger, elle qu'on n'avait pas le droit de toucher. Énormément de coups de poing ont fusé dans les couloirs plusieurs fois. Je ne regrette rien, c'était de la légitime défense monsieur le juge ! Oui j'ai toujours été nulle en droit, je l'admets. Beaucoup trop de choses à retenir pour ma pauvre tête qui ne le voulait pas. Oh oui, toujours ce problème de mémoire qui va me hanter jusqu'à maintenant.

Et voilà, moi qui pensais qu'une fois mon objectif atteint je me sentirais mieux, que j'aurais fait quelque chose. Erreur, on n'est jamais satisfait de ce qu'on a, élémentaire mon cher Watson. La vie est creuse, vide, il faut savoir la pimenter, il faut savoir vivre. Si j'ai choisi de continuer dans la psychologie, c'était surtout pour essayer de trouver quelque chose, peut-être que j'aurais réussi à mettre le doigt sur ce que j'ai. Même après des années, je ne sais toujours pas, mémoire à court terme, cerveau qui disjoncte, aucune idée. Mon père a fait le possible pour m'aider, régler le problème. Des exercices, rendez-vous avec les spécialistes les plus avancés. Mon cerveau est vide, totalement, c'est un entonnoir, ça tombe, part au bout d'un moment. Un jour je vais me regarder dans le miroir et hurler : "mais, mais qui es-tu ô sexy rouquine que je vois?!" et me rendre compte que je me parlais à moi-même. J'arrive à le vivre plutôt bien, ça c'est stabilisé on dirait, peut-être que toutes ces années à étudier m'ont permis d'avoir un déclic ou quelque chose dans le genre. J'arrive à savoir qui est ma famille, qui sont mes collègues, j'ai beaucoup de mal pour les élèves par contre, ça prend énormément de temps et me confonds toujours. J'ai besoin d'écrire, toujours pour me souvenir. Ca ne me dérange pas, au contraire, j'ai même un carnet de bord, ça donne un côté très classe, comme aventurière, un peu comme Indiana Jones, regardez ses références, merci maman. Le dernier était d'ailleurs très bien, moi aussi j'aurais aimé avoir un chien, un jour peut-être. En attendant les cours me donnent du fil à retorde, beaucoup. Je ne crois pourtant que la chose la plus.. Compliquée de ma vie est une certaine relation que j'ai. Disons le même, deux relations en une, que je ne pourrais pas défaire ou tout simplement choisir. Nous sommes soit en avance sur notre temps, soit complètement cinglés. Personnellement je pencherais pour les cinglés. C'est vrai après tout, avec quel autre terme pourrait-on désigner une courte mémoire qui enseigne l'esprit ? Cinglée, oui totalement. De toute façon comme le dit la chanson, one day is fine, next is black. Should I stay or should I go ?